lalahop

Free et son bloqueur de publicités

Comme beaucoup de personnes ces derniers jours, j'ai aussi mon avis sur le fameux bloqueur de publicités inclus dans la Freebox v6 depuis jeudi via une mise à jour du firmware. Allons-y.

Table des matières

Avant de commencer

Avant de commencer, un peu de lecture sur les différents aspects de cet AdGate :

Ensuite, quelques précisions. D'une part, je ne suis pas abonné chez Free, je n'ai pas d'actions Iliad et je considère Free ni comme un chevalier blanc, ni comme le Mal. Donc on évitera le troll "il faut être anti-Free pour débattre d'un AdGate" ou "leave Free alone". D'autre part, je n'ai pas non plus d'amour pour Google ou l'un de ses services ni même d'actions du groupe. Enfin, je me moque de savoir si la pub c'est bien, c'est mal, c'est devenu mal, si ça fait vivre des sites web, si ça pousse à la sur-consommation, ce n'est pas mon propos et je n'ai pas non plus d'action chez un publicitaire.

Cela étant dit, on va pouvoir commencer.

Start

Comme c'est mon avis, je vais parler uniquement des points qui me dérangent, logique.

La fonctionnalité est activée par défaut, sans aucune communication. Alors, bien sûr, elle est désactivable dans l'interface de la box ou en changeant les résolveurs DNS que l'on utilise. Juste M. ToutLeMonde, il ne sait pas configurer dans les moindres détails sa box. Donc les choix par défaut sont importants car ils déterminent d'office le comportement de milliers de personnes. Je sais que des personnes seront tentées de faire un parallèle avec le déblocage du port 25 (SMTP, le débloquer permet d'installer son serveur de mails chez soi). C'est pourtant assez différent me semble-t-il. D'un côté, on a un réglage qui ne concerne qu'une minorité qui, si elle sait pourquoi et comment installer son serveur de mails à la maison saura aussi comment débloquer le port 25 dans une interface web. De l'autre, on a un réglage qui touche une majorité qui ne soupçonnera même pas l'existence d'un tel réglage, qui, si elle le découvre, ne se posera pas des questions sur ses limites et qui, si elle dépasse ces 2 étapes ne saura pas forcement comment le désactiver. Je sais que des personnes seront tentées de faire un parallèle avec Adblock Plus, FlashBlock, Ghostery ou autres extensions du même tonneau. Là encore, c'est assez différent : ces extensions ont été volontairement installées puis activées, pas subies. L'équivalent sur une box serait une fonctionnalité en opt-in (désactivée par défaut, activable par l'utilisateur) et docummentée.

L'utilisateur n'a pas le contrôle total sur ce bloqueur de publicités. Là encore, certaines personnes seront tentées de faire une comparaison avec le fameux blocage du port 25. Un bloqueur de pubs, c'est quand même très différent d'un port TCP : le port TCP est unique, et il a, dans notre cas, 2 états : bloqué ou débloqué. Un simple bouton On/Off dans une interface web permet donc un contrôle totale de la "fonctionnalité". Un bloqueur de pubs, c'est une liste de filtres. On sent bien que c'est différent et que ça demande un réglage plus fin : choix des listes de filtres, choix On/Off pour chaque filtre. Free ne propose pas cela. Que faire en cas de sur-blocage (je ne peux visiblement pas consulter le site web de la régie DoubleClick pour simplement m'infomer) ou de sous-blocage ? Que faire si je ne suis pas d'accord avec une seule règle de filtrage ?

Dans la veine de l'argument précédent : la liste des filtres est inconnue de l'abonné Free. Il ne peut donc pas vérifier ce qui est bloqué et décider, en adulte, de désactiver tel ou tel filtre. L'article 4 de la LOPPSI 2 fait quasiment la même chose : une autorité administrative établie une liste gardée secrète des sites interdits sous couvert de la pédopornographie. Je crois me souvenir que cette loi a provoqué "quelques" remous ...

Le problème est bien là : la LOPPSI 2 demande un blocage de certains sites inscrits sur une liste gardée secrète. Le décret d'application concernant la loi relative aux jeux d’argent en ligne et l'HADOPI préconisent un blocage DNS. Le blocage de Free se fait justement sur les résolveurs DNS de ce FAI. Free ne vient-il pas de montrer, en plus de l'ARJEL, qu'un blocage DNS, basé sur une liste tenue secrète et mise à jour à distance, réalisé sur un nombre importants d'abonnés à Internet français est possible, en pratique, pour un coût modeste, alors que les défenseurs des libertés ont passés ces dernières années à affirmer que c'était compliqué et cher ? Et si c'est possible, pourquoi s'arrêter aux pubs ? Free ne vient-il pas tout simplement d'ouvrir la boîte de Pandore, la porte à toutes les dérives aussi bien de la part de sociétés privées que de gouvernements ? Même si le bloqueur de pubs est supprimé très prochainement, comme la rumeur l'indique, le mal sera fait de ce point de vue.

Ce qui marque ensuite, c'est que Free, en position de FAI, fasse plus que son job qui est, initialement, de vous raccorder à son réseau qui est l'un des réseaux qui composent Internet. En quoi Free est légitime à fournir un bloqueur de pubs ? En quoi Free est légitime à imposer (activer par défaut) un bloqueur de pubs ? Ce n'est pas le rôle d'un FAI de choisir le contenu que nous voulons voir ou non, quand bien même c'est de la pub. À ce propos : pub sur le web != spam dans votre boîte mail. La première a été sciemment placée sur un site par l'éditeur de ce dernier et sa réception fait suite à une demande (certes indirecte) de votre part, le deuxième a été reçu sans aucune demande de votre part. Attention : je ne suis pas contre le fait que Free lance un nouveau service (bien que je pense que ce n'est pas le rôle d'un FAI de multiplier les services annexes ... comme la TVIP ou la VOIP qui sont juste de la diffusion sur un réseau) quand il y a un minimum d'éthique derrière. Dans le cas présent, il manque : opt-in, documentation, contrôle total, pas sur un coup de tête, ... Donc, dans l'état actuel, je ne peux pas cautionner un tel mécanisme.

Il est surprenant de contaster que cet Adblock by Free est lancé dans une période durant laquelle Free fait un bras de fer avec Google (pour Youtube, échanges asymétriques, "mon réseau sera en panne avec tes services si tu ne payes pas") alors que ce dernier dépend tout particulièrement du secteur publicitaire. Il n'est donc pas surprenant, cette fois, de voir que Google semble massivement touché par le bloqueur de pubs de Free là ou d'autres régies semblent bizarrement épargnées. On n'imagine pas du tout un conflit d'intérêt ou une action pour forcer un contrat ou une décision.

Ce bloqueur de pubs a amené des comportements inhabituels sur le web : blocage de Free, contre-blocage/redirection des abonnés Free par des sites web dépendant de la manne publicitaire, ... Un traitement différent des clients (au sens client/serveur Internet) en fonction de leur FAI me semble être une idée plus que douteuse.

Des atteintes de ce type ont déjà eu lieu : les DNS menteurs, ce n'est pas innovant chez les FAI français et les FAI français qui offraient des heures de connexion 56k gratuites en échange d'un bombardement de publicités modifiaient déjà le contenu (pour intégrer les pubs, changement d'époque) des sites web visités. Ce n'est pas pourtant une raison pour s'adonner au laisser-aller.

Quelle qualification ?

Ce bloqueur de pubs est-il une atteinte à la neutralité du Net ? Est-il une atteinte à la neutralité des intermédiaires techniques ? Est-il une atteinte au droit de la concurrence ?

Pour les deux premières questions, je m'en remets au jugement de Benjamin Bayart (voir le billet sur le blog de FDN qui est linké en début de ce billet). À ceci près que je ne juge pas cette atteinte à la neutralité des intermédiaires techniques comme étant acceptable car, pour moi, ce bloqueur de pubs n'est pas sous le contrôle total de l'utilisateur (à mon goût, un bouton On/Off n'est pas suffisant pour un bloqueur de pubs et changer de modem/passer en mode bridge ne permet pas de conserver toutes les services inclus dans l'abonnement et donc payés) et car il est imposé, ce qui en fait une acceptation massive d'office.

Pour la dernière question, elle reste ouverte : d'un côté, Google semble particulièrement visé par le bloquer de pubs. De l'autre, dire que cela permet à Free de faire pression sur Google est tout relatif. D'abord parce que Google en a une plus grosse que Free (les abonnés Free sont plus dépendants de Google que Google ne l'est des abonnés Free). Ensuite parce qu'aucun élément concret et fiable n'est à notre disposition pour dire si ce bloqueur de pubs intervient dans un contexte de négociation commerciale. Même si les journalistes arrivent à obtenir des informations de la part de "sources proches du dossier", je préfère attendre pour me faire un avis. Tant qu'on ne saura pas si des régies indépendantes de Google sont touchées par cet AdGate, il sera difficile de dire si Free fait pression sur le secteur de la publicité en utilisant sa position d'opérateur.

Pour le reste des qualifications (entrave au commerce ?, ...), je laisse les spécialistes en débattre 😛 .

En tout cas, l'action de Free n'est pas anodine et c'est pour cela qu'on en parle et que ce n'est finalement pas plus mal. Je continue de penser qu'un manque de réaction aurait été mauvais signe.

Les commentaires sont fermés